Pourquoi les Russes ne s'insurgent-ils pas ?

3 idées reçues sur le silence des Russes

Hello les amis,

J’espère que la semaine fut riche en motion de censure.

Plus d’un million de personnes dans la rue en France pour protester contre le recul de l’âge de la retraite. Pendant ce temps, Vladimir Poutine est accusé de crimes de guerre pour la déportation de 6000 enfants ukrainiens et le peuple Russe semble rester silencieux.

Le contraste est troublant, mais comme à chaque fois les apparences peuvent être trompeuses. C’est parti pour 3 idées reçues sur le silence des Russes face à la guerre en Ukraine.

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Au programme de cette édition (~7mins de lecture) :

🧐 Unboxing de la semaine : Pourquoi les Russes ne s’insurgent-ils pas ?

🤯 Idiocracy : Vous cherchez un travail ? Wagner recrute !

📔 Journal intime : C’est parti, on lance notre entreprise

🎁 La pépite de la semaine : This is fine…

3 idées reçues sur le silence des Russes

L’autre jour ma fiancée me faisait remarquer que ma position vis-à-vis des Russes se “radicalisait” et que je les jugeais de ma perspective de Français qui “sort manifester pour un oui ou pour un non”.

Il est vrai que j’ai développé un sentiment de dédain ces derniers mois vis-à-vis du silence complice du peuple Russe qui semble accepter qu’un dictateur fou parte en croisade pour purifier ethniquement un pays voisin. Un peuple qui semble avoir oublier les ravages et immondices causés par le dernier dictateur fou que l’Europe a laissé prospérer - jusqu’à ce qu’il soit trop tard et que des dizaines de millions de vies innocentes soient volées à jamais.

Comment ne pas s’indigner de l’agression meurtrière de leurs frères ukrainiens ? Comment peut-on laisser l’histoire se reproduire ? Comment peut-on prendre le moindre risque d’être complice de l’avènement d’un monstre ?

J’ai tenté d’y répondre - et la bonne nouvelle, c’est que je me suis “déradicalisé” dans la foulée, passant du dédain à une certaine forme d’empathie et surtout de peine pour un peuple qui a perdu les clés de son avenir.

Idée reçue n°1 : Manifester en Russie est très (trop ?) risqué - ✅ VRAI

Oui, manifester en Russie est devenu quasi impossible. Depuis quinze ans, les autorités russes utilisent des lois de plus en plus restrictives et des stratégies policières brutales pour réduire au silence toute dissidence.

Depuis 2011, le nombre d’infractions juridiquement définies par la Loi sur les rassemblements est passé de 3 à 17. Le montant des amendes a explosé, passant de 2 000 roubles (54 €) en 2012 à 300 000 roubles (3 409 €) en 2021, alors que le salaire de base mensuel en Russie est de 140 €. 

En un an de conflit, environ 15.000 personnes ont été placées en détention suite à des manifestations antiguerres. Pour mettre ces chiffres en perspective, durant le mouvement des Gilets Jaunes, 10 000 personnes ont été placées en garde à vue pour 3100 condamnations dont un millier de peines de prison.

On pourrait se dire que la répression Russe n’est pas si importante (ou que le France devrait se remettre en question). Mais il faut bien garder en tête que, malgré la brutalité de certains policiers en France, se faire arrêter en Russie n’est pas la même expérience : violence aggravée, torture, parcours judiciaire kafkaïen, etc. De plus, les manifestations en Russie n’ont pas la même envergure, c’est en général quelques milliers de personnes qui sortent dans la rue, donc une grande partie se retrouve en détention.

La répression n’est pourtant pas un argument suffisant. La violence d’Etat n’a pas empêché les révolutions de peuples en quête de liberté par le passé, ou plus récemment la naissance du printemps arabe. Il semblerait que les Russes n’arrivent pas à se mobiliser collectivement. Pourquoi ?

Idée reçue n°2 : Les Russes sont en majorité d’accord avec la guerre - 🟠 À NUANCER

Les sondages Russes montrent une unité de la population autour de Poutine, mais ils sont à prendre avec d’immenses pinces de barbecue. Ces sondages sont effectués en Russie dans un contexte extrêmement répressif, avec un régime politique qui a évolué vers un autoritarisme extrême.

Le 5 mars 2022, Vladimir Poutine a signé une loi prévoyant jusqu'à 15 ans de prison pour toute personne publiant des « informations mensongères » sur la guerre en Ukraine et des données « discréditant les forces armées russes ». Dans un tel contexte, les Russes interrogés s’abstiennent ou choisissent de donner les réponses « socialement acceptables ». 

Il est donc impossible de savoir ce que pensent vraiment les Russes, car on leur interdit de penser. La propagande généralisée annihile l’esprit critique, les euphémismes engourdissent les émotions (ex : on parle d’une “opération spéciale” et pas de guerre), et la répression s’assure que les voix dissidentes ne soient pas trop entendues.

C’est le retour de l’Homo Sovieticus :

• Le mépris pour la liberté : la liberté n’est pas une valeur ni pour l’état ni pour la société. C’est une invention des occidentaux qui leur a coûté la sécurité et la stabilité.

• La vénération de l’Etat : la population a repris l’habitude - soviétique - de ne jamais accuser l’Etat pour un problème ou une crise mais de toujours trouver les coupables parmi les petites entreprises ou les citoyens ordinaires.

• L’anti-occidentalisme : La machine de la propagande soviétique a imposé à la population une vision de l’Occident comme un ennemi de tout temps du peuple soviétique. Et la télévision relate en permanence les malheurs des occidentaux agrémentés de mensonges et fake news.

Un scénario qui fait froid dans le dos, et qui rappelle 1984 de George Orwell :

La guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, l'ignorance c'est la force.

Sauf que les jeunes et l’intelligentsia russe n’adhèrent pas du tout à ce concept. La jeunesse russe est très globalisée : elle est très ouverte à l’international, elle est passionnée des mêmes séries que les jeunes en Europe et aux Etats-Unis ; elle aime les mêmes marques de vêtements, et aspire aux mêmes valeurs. D’ailleurs, environ 700.000 personnes ont fuit la Russie, par désaveu du régime, par peur d’être mobilisé ou simplement pour des raisons économiques suite aux sanctions.

Paul Gogo, un journaliste du Parisien basé à Moscou qui a passé beaucoup de temps à interroger des Russes dans les villes et campagnes décrit 3 phases émotionnelles par lesquelles les citoyens Russes sont passés depuis un an :

1. L’incompréhension et le choc au début du conflit

2. L’acceptance et l’adaptation en oubliant la réalité et en se concentrant sur sa famille et ses proches

3. La peur et la colère à présent que la guerre s’est installée dans les ménages suite à la mobilisation générale de civils envoyés à la guerre, des pères, frères et enfants qui ne reviennent pas, et dont les familles n’ont pas de nouvelle

Alors, sommes-nous à l’aube d’un soulèvement populaire ?

Idée reçue n°3 : Les Russes sont dans le déni - ✅ Probablement vrai

Dans cette partie, je vais largement m’appuyer sur l’analyse du sociologue Russe Grigory Yudin, notamment dans son intervention sur l’excellent podcast de Russian Resistance, un média dissident Russe.

Yudin considère que le peuple Russe est complètement dépolitisé et que le peuple pense que rien ne peut être achevé via la politique ou le soulèvement populaire. Le résultat de décennies de désenchantement et d’efforts du gouvernement pour transformer la chose politique en une gigantesque mascarade.

Un exemple frappant, c’est la pratique du “Candidat Clône” qui consiste à ajouter sur les listes de candidats aux élections des candidats qui se ressemblent et qui ont quasi le même nom. L’objectif est de créer de la confusion et d’aspirer des votes.

Candidats clones pour le siège parlementaire de St Petersburg

Le résultat est un désintérêt total pour la politique considérée comme sale et stupide. La conséquence lorsque vous ne vous intéressez pas à quelque chose, c’est que dès qu’un évènement important arrive, vous êtes prêt à accepter l’explication la plus immédiate de la chose : la propagande gouvernementale - c’est le choix le plus confortable. Et que nous dit la propagande ? Tout va bien, c’est une opération spéciale de quelques mois, rien de sérieux, vous pouvez retourner vaquer à vos occupations.

La grande majorité des Russes sont donc dans le déni total et se concentrent sur leur propre situation, leur survie et leur sécurité. Non pas par manque de cœur, mais par absence de conscience politique et de croyance en l’impact de l’engagement civique.

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Alors, de quoi débat-on ?

La réalité de la guerre s’installe à présent chez les citoyens Russes via la mobilisation générale de civils au front - on pourrait donc espérer un éveil des consciences et un soulèvement populaire. Malheureusement, la peur du sacrifice inutile est sûrement trop forte pour qu’un soulèvement vienne du peuple.

Il faut se mettre à la place d’un Russe :

1. Manifester est extrêmement risqué, je risque ma liberté et celle de mes proches

2. Une majorité de la population a le cerveau lavé par la propagande et donc mes voisins et collègues ne viendront pas manifester avec moi par peur ou pure opposition

3. La politique est une mascarade et nous n’achèverons jamais rien via le soulèvement populaire. A quoi bon prendre ce risque ? Perdu d’avance, j’abandonne et je m’occupe de moi-même.

Certains observateurs estiment que seules les élites pourraient organiser une révolution et faire tomber le gouvernement. Malheureusement les membres de l’ancienne Nomenklatura soviétique devenus milliardaires sont tous des proches de Poutine, par amitié, ou par obligation et peur pour leur propre vie.

Ma conclusion à ce stade, c’est que le peuple Russe est autant victime des agissements de Poutine que le peuple Ukrainien. Pointer du doigt leur “lâcheté” ou passivité ne fait que renforcer le sentiment anti-Russe dont Poutine rêve pour justifier un clash des civilisations.

Alors, plutôt que de les pointer du doigt, aidons-les à s’échapper de Russie, à mener la résistance en territoire libre, à soutenir les initiatives des quelques groupes dissidents, et surtout à espérer un alignement des planètes et une fenêtre d’opportunité pour faire tomber le régime de Poutine de l’intérieur. Il est déjà trop tard, tant de morts inutiles, mais quelque chose me dit que, malheureusement, ce n’est qu’un aperçu de ce qui est à venir…

Et surtout, soyons fiers de notre engagement civique. Je suis, comme la plupart des Français, exaspéré des manifestations à répétition et de l’insurrection permanente. Mais cette conscience politique fait de nous une nation forte qui pense par elle-même et refuse le status quo. Alors, la prochaine fois que votre avion est annulé ou que vous passez 2H dans les bouchons à cause d’un mouvement de grève, pensez aux Russes (bon d’accord j’avoue que c’était un peu tarte à la crème, genre “finis ton assiette il y a des enfants qui meurent de faim en Afrique”…)

Restons dans le thème. Connaissez-vous le groupe Wagner ? L’armée privée de Poutine qui a notamment recruté des prisonniers Russes en leur offrant le pardon de la justice en échange de leurs services sur le front en Ukraine. La milice Wagner est connue pour ses interventions musclées en Syrie, Lybie, au Mali et évidemment en Ukraine, partout où la Russie souhaite intervenir de manière peu conventionnelle (comprenez crimes de guerre impunis).

Et bien cette milice est en pleine campagne de recrutement, de nombreux observateurs évaluent à 40.000 le nombre de morts dans les rangs de Wagner depuis le début du conflit, et il faut à présent renflouer les équipes en Ukraine.

Et leur stratégie de recrutement est plutôt intéressante. Leur dernière opération est une campagne de publicité sur le site pornographique Pornhub. On y voit une femme blonde avec une sucette et une voix OFF qui explique en Russe “Arrête de te b***ler et vient combattre avec l’armée la plus cool du monde”.

Le site a depuis retiré cette publicité car les conditions générales interdisent les publicités politiques. Le concept d’armée privée me fascine, on est au paroxysme du capitalisme où l’argent peut vous acheter le droit et la capacité d’exterminer une ethnie, pardon “dénazifier” un pays. Vous serez sans doute heureux d’apprendre que le groupe Wagner est un groupe d’obédience néonazi. Kamoulox !

Mais la bonne nouvelle c’est que maintenant vous savez que vous n’avez même pas besoin de traverser la rue pour trouver un travail. Et ça, ça n’a pas de prix.

Grande nouvelle ! Nous allons officiellement immatriculer l’entreprise Panacea.studio afin d’accélérer sur le projet en trouvant un incubateur, en créant des partenariats stratégiques avec la presse et des établissements de recherche publique, et en allant chercher des subventions pour financer le développement du produit. Toute aide est la bienvenue, si vous avez une personne intéressante dans votre réseau, n’hésitez pas à me faire une mise en relation !

C’est le début d’une longue aventure, vous pouvez dès maintenant jeter un œil à notre premier pitchdeck en Français qui explique notre ambition et notre stratégie. Le document est en consultation libre et vous pouvez ajouter des commentaires, nous sommes très preneurs de vos retours ! #BuildInPublic

Cette décision d’accélérer fait suite aux nombreuses interviews que j’ai effectuées avec une vingtaine d’entre vous (merci encore !). Voici dans les grandes lignes mes trouvailles :

• Les principales problématiques auxquelles vous faites face : l’anxiété permanente des médias, l’overdose d’information, des opinions binaires et biaisées à souhait (mais non assumées), et une attention réduite.

• Beaucoup d’entre vous ont comparé l’actualité à une série Netflix en boucle, épisode après épisode, sans jamais prendre de recul.

• Le média parfait pour vous est un média contradictoire qui pèse le pour et le contre, qui n’a pas peur de montrer la divergence des avis tout en cherchant un consensus éclairé. Un média qui ne traite pas l’information à chaud mais prend du recul sur une problématique pour donner une vision globale. Cela tombe bien, c’est exactement ce qu’on souhaite créer 😅

A noter tout de même qu’une majorité d’entre vous pense être mieux informée que la moyenne et être immunisée à la désinformation. Ce qui m’inquiète légèrement car cela ressemble à un biais de surconfiance qui peut renforcer la vulnérabilité face à la désinformation sur le long terme. J’en ai profité pour faire une petite vidéo et lancer ma carrière d’influenceur TikTok…(c’est pas gagné)

Vous connaissez sûrement le même “This is fine” qui montre un dessin où un chien boit tranquillement son café pendant que tout brûle autour de lui. Métaphore particulièrement pratique quand on souhaite illustrer la mort intérieure que nous pouvons ressentir face à certains évènements catastrophiques.

Et bien une version réelle de ce même circule sur internet. La scène se passe à Saint-Etienne dans une pizzeria. Les clients profitent tranquillement de leur dîner pendant qu’on voit la rue derrière en feu suite aux manifestations contre le 49.3 de la réforme des retraites. On dirait un Fake mais Libération a retracé l’origine de la vidéo et confirme les faits. Je vous laisse profiter de ce petit dîner aux chandelles, et du flegme légendaire des clients :

Arnaud Bertrand @RnaudBertrand

In a restaurant in Lyon, France last night. Literally the "this is fine" meme 😂 https://t.co/lg1X2tMXBX

Surtout continuez à m’envoyer vos retours en répondant à cet email, et, ensemble, nous arriverons peut-être à imaginer une meilleure manière de s’informer. 🤗

Bisous,

Terence.

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